« Cachez-moi ce nombril ! »
par Audrey Nait-Challal
Ça a démarré comme ça…
Tout a commencé en discutant avec mon amie Elodie. Elodie a quatre enfants, scolarisés au collège et au lycée publics de la ville où ils vivent, en Seine-et-Marne. On était en septembre et il faisait très chaud, un vrai temps d’été. Elle me racontait que sa petite Jeanne de 6e (à retrouver dans le reportage !) était allée au collège en short un jour où elle avait EPS et qu’on lui avait demandé de ne plus venir habiller dans cette tenue. Une petite fille de 11 ans, en short pour faire du sport, par plus de 30°. Rien de plus banal et de plus normal mais certains adultes, au sein d’établissements scolaires, voyaient là un problème.
Dans les jours qui ont suivi, je me suis rendue compte que Jeanne n’était pas un cas isolé. Au contraire, dans tous les coins de la France, à la campagne, comme en ville, à Paris comme en province, au collège comme au lycée, dans le public comme dans le privé, des fillettes et des adolescentes racontaient des histoires très ressemblantes. Un nombril qu’un croc top découvre, un débardeur laissant voir l’épaule prendre l’air, une bretelle de soutien-gorge qui s’écarte un brin de la manche d’une robe, une jupe qui ne cache pas un genou… valent aux adolescentes des remarques, parfois des sanctions. Elles sont sommées de s’habiller « correctement ». Mais c’est quoi une tenue correcte ? Une tenue qui cache toutes les parties du corps ? Et pourquoi ces interdits visent-ils presque exclusivement les filles ?
L’idée
Pour répondre à ces questions, j’ai recherché des collégiennes et des lycéennes qui avaient eu à subir des remarques. Il était nécessaire qu’elles acceptent d’être photographiées en montrant leur visage. Ce n’est pas toujours facile à 12 ou 16 ans, d’oser affirmer ses idées mais c’était essentiel car elles ne sont coupables de rien, bien au contraire, donc pourquoi se cacher !?
Je les ai photographiées dans « l’espace public » car cette question des vêtements concerne la manière dont les femmes peuvent s’habiller dans la société, à l’extérieur de chez elles. J’aurais aimé dépasser les frontières de l’Île-de-France et rencontrer des jeunes filles à Lille ou à Marseille, mais la Covid (tiens pourquoi a-t-on féminisé cette maladie ?) et les restrictions de déplacements ne l’ont pas permis malheureusement. En revanche, j’ai demandé à mes interviewées de retirer leur masque le temps de la photo.
Tout ça pour ça !
Ce qui m’a frappée quand j’ai rencontré toutes ces jeunes filles et qu’elles ont enfilé leur tenue « pas correcte », celle qu’elles n’osent pas porter ou celle qui leur a été reprochée, c’est justement la normalité de cette tenue. Moi, je les ai toutes trouvées joliment habillées, souriantes, à l’aise dans leurs vêtements et dans leur corps, en accord avec elles-mêmes.
En discutant avec elles, j’ai constaté qu’il n’y avait aucune provocation de leur part, aucun désir de gêner qui que ce soit, mais seulement l’envie de porter des vêtements dans lesquels elles se sentent bien et qui reflètent leur personnalité. Et elles demandent d’être respectées ainsi. C’est tout !
Et les garçons dans tout ça ?
Je n’avais pas du tout prévu de faire témoigner des garçons mais quand on m’a parlé de Noah et de Satya, deux amis venus en « tenue provocante » au lycée le 14 septembre en signe de solidarité avec les filles, j’ai trouvé que c’était une très bonne idée de les faire participer ! Parce que bon, dans leur établissement, on explique aux filles que dévoiler leurs épaules ou leur genou va perturber les garçons, les empêcher de travailler, ou que certains risquent même de les agresser. Bref, les adultes parlent au nom des garçons mais qu’en pensent-ils, eux ? Je crois que comme Satya et Noah, la grande majorité d’entre eux respecte les filles et ne va pas rater un devoir de maths à cause de la jupe de sa voisine ! Je crois que ce sont les adultes, plus que les garçons, qui ont un problème avec les tenues des filles.
Pourquoi j’ai voulu faire ce reportage…
Un grand mouvement est apparu ces dernières années pour dénoncer le harcèlement, les violences faites aux femmes, les inégalités hommes-femmes, le sexisme… La société évolue et les voix de féministes se font de plus en plus entendre pour faire comprendre que si une femme est agressée, elle n’est pas responsable, qu’elle que soit sa tenue. Il n’y a qu’un coupable : son agresseur.
Pour que les mentalités continuent à évoluer dans ce sens, il est nécessaire que l’école montre l’exemple. L’une de ses missions est de former des citoyens, d’enseigner des valeurs de respect, d’égalité. L’école ne devrait pas exiger des filles qu’elles changent de vêtements mais apprendre à tous que c’est le regard que notre société porte sur elles qui doit changer.
Mais les jeunes filles, très informées, ont bien l’intention de ne pas se laisser faire et de défendre leurs droits. Parmi ces droits, celui de s’habiller comme elles l’entendent. Ou si leur établissement applique un code vestimentaire, que celui-ci s’applique aux filles comme aux garçons !
Elles ont lancé des mouvements sur les réseaux sociaux comme #balancetonbahut ou #14septembre. Isis (@isis_off) a même lancé une pétition pour le droit aux croc top au lycée.
Merci à DONg ! d’avoir accepté avec enthousiasme ce sujet. Merci à Hannah, Bettina, Audrey, Fantine, Charlotte, Jeanne, Tess, Carla, Capucine, Justine, Noah et Satya, qui ont accepté de témoigner, d’être photographiés et à leurs parents qui les y ont autorisés et parfois même encouragés. Merci à Isis qui m’a aidée à trouver des témoignages. Et à Chloé Thibaud (Les Petites Glo) d’avoir apporté son regard pertinent.
Aller plus loin
BD
La ligue des super féministes, de Mirion Malle, éd. La Ville Brûle.
Livre
Nous sommes tous des féministes, de Chimamanda Ngozi Adichie, illustré par Leire Salaberria, éd. Gallimard Jeunesse. La célèbre autrice nigériane aborde l’égalité filles/garçons en racontant son enfance.
Site
Les Petites Glo, c’est une newsletter féministe (et gratuite) pour les jeunes.
On s’y abonne sur leur site et on peut suivre aussi leur compte Instagram.
https://lesglorieuses.fr/les-newsletters/les-petites-glo/?v=11aedd0e4327