Raphaële Botte

La salle 116

Les coulisses du reportage

 

En 2014, j’ai vu le documentaire La Cour de Babel de Julie Bertolucci au cinéma. Ces images m’ont happée : ces enfants de partout dans une même classe à l’assaut de la langue française, leur professeur incroyable, leur envie d’avancer, leurs cultures, leurs heurts, leurs larmes, les miennes… J’ai souvent repensé à ce film et il est à l’origine de ce reportage.

Je connais Mathilde F., la professeure de la salle 116 du collège Jean-Perrin. Après avoir passé l’agrégation de lettres, elle a demandé à l’Éducation nationale un poste d’enseignante pour élèves allophones. Pendant des mois, elle s’était plongée dans des œuvres classiques exigeantes et elle avait écrit des dissertations pendant des heures. Elle venait de réussir ce concours si difficile et sélectif et voilà qu’elle allait donner des cours en reprenant le français à zéro. Elle ne lira pas de texte de Montesquieu avec ses élèves mais elle leur apprendra qu’au féminin, en français, souvent on ajoute un “e” aux adjectifs… Quand je lui ai demandé si elle était d’accord pour m’accueillir dans sa classe, elle m’a tout de suite répondu : « Quand tu veux, tu verras, mes élèves sont super.”

C’est ainsi que j’ai rencontré Salomé, Fatoumata, Sandra, Marwane et les autres. Nous avons lentement fait connaissance. J’ai écouté les histoires de leurs arrivées en France mais je n’ai pas cherché à savoir à tout prix les conditions de ces migrations. Mon sujet était avant tout leur rapport à la langue française. Pour essayer de rencontrer leurs parents, je suis allée au cours de français pour les adultes. J’ai aussi donné une lettre écrite en un français assez simple à quelques élèves. Un dimanche matin, j’ai reçu un mail de la mère de Salomé et nous nous sommes retrouvées dans un café.

Dans un de nos premiers mails, Mathilde F. avait écrit un jour : “Tu sais, ils travaillent en autonomie et je passe de table en table. Peut-être qu’au bout de deux ou trois heures, tu ne trouveras pas ça très fort pour ton reportage. Ne t’en fais pas, si tu veux changer de sujet, je ne serai pas vexée.” C’est vrai que j’ai passé de longues heures à les regarder travailler mais jamais je n’ai voulu changer de sujet ! J’étais surtout frustrée de ne pas pouvoir venir davantage… Les retrouver six mois plus tard dans cet amphithéâtre de la Sorbonne dans lequel je n’étais moi-même jamais entrée a été un beau moment. Solennel, juste et simple à la fois.

Aller plus loin

En France, l’instruction est obligatoire jusqu’à 16 ans et cette loi concerne tous les mineurs qui sont sur le territoire. L’école publique a le devoir d’accueillir les élèves même s’ils ne parlent pas le français. Les classes d’UPE2A permettent de mettre en place un programme adapté à leur niveau. Entrée en matière est un exemple de manuel conçu spécialement pour cet apprentissage du français. En quelques mois, ces élèves doivent apprendre le vocabulaire de la vie de tous les jours et celui de l’enseignement.

En 2016-2017, plus de 50 000 élèves allophones étaient scolarisés en France. L’académie de Paris comptait 1 616 élèves répartis dans 82 classes d’UPE2A en collège. Quatre-vingts pour cent de ces enfants sont arrivés en France avec leur famille et 20 % d’entre eux sont des “mineurs isolés”. Cela veut dire qu’ils sont en France seuls, sans adultes. Ceux-là sont pris en charge par des services sociaux spéciaux et hébergés en foyer. Ce sont en très grande majorité des garçons.

Quand une famille arrive en France et que les enfants doivent être scolarisés, ils s’inscrivent auprès de l’académie qui leur fait passer “un test de positionnement”. Ce test sert à évaluer leur niveau de compétence et leur niveau de français. C’est à ce moment-là qu’est décidé si l’élève peut intégrer le cursus “normal” ou s’il faut passer dans une UPE2A.

 

À lire, à voir

La Cour de Babel, réalisé par Julie Bertolucci (2014).

La réalisatrice de ce film documentaire a posé ses caméras pendant un an dans une classe de primo-arrivants du collège de la Grange-aux-Belles à Paris. Les scènes montrent leur apprentissage, le lien qui se tisse avec leur professeur, les passerelles qu’ils parviennent à établir entre leurs cultures et le pays qu’ils sont en train de découvrir. Une grande aventure entre les murs d’une classe.

Enfants d’ici, parents d’ailleurs. Histoire et Mémoire de l’exode rural et de l’immigration, de Carole Saturno, éd. Gallimard Jeunesse, 192 pages. C’est un livre sur l’histoire de l’immigration en France de façon plus générale. Chaque immigration est introduite par le récit d’un enfant d’aujourd’hui. Les explications et les textes de loi permettent de mieux comprendre les enjeux actuels. Un livre épais, complet, mais accessible.

Tous Français d’ailleurs, de Valentine Goby, éd. Casterman, 360 pages. L’auteure raconte l’immigration en France au travers de portraits d’enfants pour comprendre leur parcours et leur quotidien.

Les Inoubliables de Fanny Chartes, éd. l’Ècole des loisirs

Un beau roman racontant le chemin d’un groups d’élèves allophones qui ressemblent à ceux de la Salle 116. De l’humour, des destins, de l’émotion.