Les coulisses du reportage par Thomas Girondel

 

Temps total sur l’île :

103 jours étalés sur l’année scolaire 2018/2019

Matériel utilisé :

Boitier professionnel          -> Canon 5D Mark III

Objectifs professionnels     -> Canon EF 24-70mm f/2.8 L II USM

                                                -> Canon EF 100-400mm f/4,5-5,6 L IS USM

 

Naissance d’un sujet… 

Le projet est né suite à un court séjour à l’île d’Yeu en avril 2018. Depuis une dizaine d’années, mes amis nantais et moi aimons séjourner dans une maison secondaire lors des longs weekends printaniers. À mon retour par bateau sur le continent, j’avais décidé de rentrer à Nantes en prenant un covoiturage du port de Fromentine en Vendée.

Le conducteur était Grégory Fagault, professeur d’EPS au collège des Sicardières à l’île d’Yeu. Sur la route nous avons discuté de nos professions respectives. Il m’expliqua qu’il travaillait dans un établissement public classé en zone d’éducation prioritaire. Curieux, je l’ai bombardé de questions, car j’étais très étonné du classement. Arrivés à Nantes, nous avons échangé nos numéros de téléphone. Je voulais faire un reportage au sein de l’établissement !

Après avoir discuté par téléphone avec le proviseur du collège Éric Albiero et certains professeurs, j’ai établi un planning de reportage. Le proviseur a informé les parents d’élèves de ma venue pour obtenir les autorisations nécessaires au reportage.

Début, difficultés et réflexions…

Le reportage débute à la rentrée 2018. Pendant plusieurs jours j’ai suivi le rythme scolaire des élèves, allant de classe en classe, de la 6ème à la 3ème. Je me suis présenté avant chaque cours pour expliquer ma présence aux élèves. Malgré leur timidité, je suis allé à leur rencontre dans les couloirs entre deux cours et dans la cour de récréation. Je posais des questions sur le quotidien sur l’île en dehors de l’établissement, puis j’enregistrais leurs réponses. Je voulais comprendre leur vision insulaire de la vie.

Ce n’était pas facile : en cours les élèves devaient s’habituer à mon appareil photo, et à ma présence. Je suis d’abord venu avec un bloc-notes et un stylo, je m’asseyais au fond de la classe. J’écoutais les cours et je repérais les groupes de copains. Ce n’était pas désagréable, j’avais l’impression d’être à leur place et me souvenais de l’ambiance lorsque j’étais collégien dans ma ville natale du Havre en Normandie.

Après deux jours sans appareil photo, je suis revenu en cours avec mon boîtier. Je souhaitais que les élèves restent naturels ; soit ils me regardaient en rigolant, soit ils cherchaient à sortir du cadre. Je faisais chaque coin des salles de classe pour trouver la bonne distance, qu’ils restent attentifs aux professeurs, qu’ils m’oublient, et ce, sans déranger les professeurs eux-mêmes. Exercice difficile.

J’ai aussi passé du temps avec le personnel de l’établissement pour créer une relation de confiance. J’ai interviewé les professeurs, je les ai pris en photo, je posais beaucoup de question à Éric Albiero le proviseur. J’allais en salle de pause, déjeunais avec eux à la cantine. Je me disais qu’indirectement, si les élèves me voyaient avec leurs professeurs, ils auraient aussi plus confiance en moi.

J’ai décidé de les suivre sur le continent lors de leurs sorties sportives avec les professeurs accompagnateurs. De comprendre le rythme île-continent, bateau-car. Puis les moments de détente au laser-game et bowling en attendant le bateau du soir. D’être aussi fatigué qu’eux !

Cette première session s’est bien passée. J’étais satisfait des photos mais il manquait quelque chose. Un après-midi j’avais suivi Louis-Jacques jusqu’à chez lui, puis à la plage. J’avais découvert son univers, les photos étaient belles. En regardant ces clichés à Nantes, je me suis dit qu’il y avait une histoire à raconter. Mais je n’avais pas encore passé assez de temps avec les élèves en dehors de l’établissement.

L’hiver sur l’île

J’ai contacté le proviseur pour lui dire que je reviendrai en hiver 2019. Fin 2018 j’étais en reportage en Ukraine mais j’avais déjà hâte de retourner sur l’île, découvrir l’hiver insulaire et ses tempêtes !

Afin de me rapprocher des groupes de copains, je suis intervenu dans chaque classe pour présenter les photos prises en automne. J’expliquais ce qui était un bon cliché, un mauvais cliché. Ce qui pouvait être publié en magazine, ou pas. De cette manière je souhaitais que les élèves soient acteurs du projet.

La session hivernale s’est très bien passée, j’étais moins présent dans l’établissement, plus en dehors. Certains enfants, ou groupes de copains venaient à moi pour me dire qu’ils avaient prévu telles ou telles activités les weekends, ou le soir après les cours. Cela m’a permis de voir leur quotidien.

Les seuls élèves réticents au projet étaient les troisièmes. Leur rapport à l’image était compliqué. Ils aimaient discuter avec moi mais ne voulaient pas être pris en photo. Je ne pense pas que c’était de la timidité, mais à un âge où la puberté fait son apparition, les garçons comme les filles fuyaient l’objectif.

L’ambiance sur l’île était exceptionnelle, nous avons eu le droit à deux tempêtes, les premières de l’année. C’est durant cette période que j’ai compris que l’île avait une vie hors-saison, qu’il y avait une véritable entraide durant ces longs mois d’hiver. Une solidarité que je ne voyais plus sur le continent. Je me sentais même coupable de n’avoir pas ressenti cette atmosphère lorsque je venais entre amis durant les beaux jours.

Le printemps et le début de l’été

Je n’avais pas eu l’occasion de prendre en photo la section sportive plongée, ce n’était pas encore la saison. Mais c’est le seul collège de France à proposer cette activité, impossible de passer à côté. Je savais que j’allais revenir au printemps, lorsque la température de l’eau se serait réchauffée. Les professeurs le savaient, les enfants aussi. Je ne pensais pas que j’allais y rester presque trois mois…

J’étais en “alerte” pour la première session plongée sur l’île lorsque Grégory m’a contacté pour me dire que la température de l’eau était propice à l’ouverture de la saison. Je suis donc parti de Nantes quelques jours après, heureux de retrouver le Caillou, ses enfants, les professeurs et la vie insulaire.

L’île est fleurie, c’est magnifique et il n’y a pas encore de touristes. Les Islais en profitent.

 J’ai continué de suivre les groupes de copains dans leurs sorties extra-scolaires, j’étais peu présent au collège sauf pour se donner rendez-vous. Il était en effet difficile de pouvoir communiquer avec eux en dehors de l’établissement car la majorité n’avait pas de téléphone portable.

Seuls les troisièmes en avaient. Je souhaitais aussi me focaliser sur ceux qui n’avaient pas voulu être pris en photo. Etant donné qu’il n’y a pas de lycée sur l’île, je voulais les interroger sur leurs appréhensions du passage île-lycée en internat. Au fur et à mesure, ils ont accepté ma présence, puis celle de l’appareil photo. Cela m’a aussi permis de rencontrer des lycéens, anciens des Sicardières, qui revenaient chaque weekend sur l’île pour comprendre leur perception du continent.

Pour finir

Ce reportage a été une belle expérience, humaine et enrichissante. Je garde de très bons souvenirs sur l’île et des moments passés avec les collégiens, les professeurs et les Islais en général. J’ai l’impression d’avoir été le copain de certains groupes d’enfants, j’ai découvert des endroits que je ne connaissais pas sur l’île, des lieux à l’abri des foules estivales.

Les lendemains

Petit à petit, j’ai compris que le sujet ne pouvait être centré que sur les enfants mais sur le devenir de la jeunesse islaise. Après les collégiens, j’ai rencontré les lycéens qui revenaient chaque weekend sur l’île durant les beaux jours. Les enfants du Caillou sont aussi ceux qui ont grandi, obtenu leur bac, entamé des études et démarré une vie professionnelle.

En parallèle des sorties avec les collégiens j’ai rencontré des islais âgés de 24 à 40 ans qui ont décidé de revenir s’installer sur l’île avec des projets d’avenir, après avoir vécu sur le continent. Le but de ce sujet : dresser un portrait des Islais de 7 à 77 ans. J’estime qu’il me faudra encore une, voire deux années de travail sur place.

 

Aller plus loin

Ce n’est pas un livre directement lié au sujet, mais il me porte…

Portrait du Gulf Stream, éloge des courants. Promenade, d’Érik Orsenna, éd. Du Seuil.

Et je vous conseille aussi le travail d’un autre photographe Antoine Vincens de Tapol qui a suivi des adolescents sur l’île de Groix et sur Belle-île.

https://www.antoine-de-tapol.com/L-ile-aux-adolescents